AlveoliX souhaite que les organes sur puces deviennent le nouveau standard pour la prise de décision préclinique et la première alternative à l’expérimentation animale. Grâce à sa technologie, l’entreprise bernoise reproduit le micro-environnement des organes humains à l’aide d’une technique novatrice, afin de mieux comprendre la biologie humaine et d’améliorer le développement des médicaments.

 

Comment est née l’idée d’AlveoliX ?

Elle est née de la nécessité d’améliorer la façon dont nous étudions le poumon humain et ses maladies. Des millions de personnes dans le monde sont touchées par des maladies pulmonaires qui peuvent entraîner de graves complications et une réduction de la qualité de vie. Nous avons remarqué que les méthodes traditionnelles d’étude des maladies pulmonaires, telles que l’expérimentation animale et les modèles de culture cellulaire de base, présentaient des limites. L’expérimentation animale est coûteuse, prend du temps et est controversée sur le plan éthique. Les modèles de culture cellulaire ne modélisent souvent pas avec précision le micro-environnement complexe du poumon humain. Pour relever ces défis, nous avons mis au point une nouvelle technologie qui recrée avec précision le micro-environnement du poumon, y compris les mouvements respiratoires in vitro.

Quelle technologie développez-vous ?

Nous sommes spécialisés dans le développement d’une technologie permettant de reproduire le micro-environnement des organes humains. L’entreprise se concentre principalement sur la création de modèles in vitro appelés “organes sur puce” pour aider au développement de nouveaux médicaments et de nouvelles thérapies, et pour mieux comprendre la biologie humaine. L’un de nos produits les plus innovants est le système AXBarrier-on-Chip qui permet d’étudier les barrières biologiques telles que la barrière pulmonaire ou intestinale et bien d’autres. Il est conçu pour reproduire le micro-environnement complexe des barrières organiques en tenant compte des forces mécaniques.

Comment parvenez-vous à reproduire le micro-environnement des organes humains ?

Le système AlveoliX a été mis au point pour imiter les fonctions propres aux organes, telles que les forces mécaniques et la structure multicellulaire en 3D, afin de simuler plus fidèlement la situation in vivo. Le système utilise une stimulation mécanique qui applique un étirement cyclique aux cellules sur la membrane pour imiter le mouvement de l’organe. Cela permet de créer un environnement plus réaliste pour que les cellules se développent et interagissent les unes avec les autres, ce qui permet d’obtenir un modèle plus précis.

D’où viennent les cellules que vous utilisez ?

Pour nos modèles pulmonaires, les cellules primaires sont isolées à partir de tissus provenant directement de patients ayant subi une intervention chirurgicale au cours de laquelle tout ou partie d’un poumon est retiré. Nous obtenons des tissus de différentes sources, notamment de bio-banques et hôpitaux européens. Nous utilisons également très souvent notre nouvelle lignée de cellules épithéliales alvéolaires humaines immortalisées que nous avons développée. Les cellules de n’importe quel organe peuvent également être cultivées sur la puce, que ce soit sous forme de tissu primaire, de sphéroïdes ou de lignées cellulaires. À titre d’exemple, nous avons développé avec succès un modèle d’intestin.

Vous êtes décrits comme des “pionniers”. Qu’est-ce que votre technologie a de spécial ?

Depuis le début, les ingénieurs travaillent en étroite collaboration avec les biologistes pour développer de nouvelles technologies. Cela nous permet de mettre au point des systèmes qui répondent parfaitement aux besoins biologiques. Par exemple, notre puce comprend une membrane très fine, poreuse et souple qui favorise la croissance optimale des cellules et qui peut être étirée pour reproduire les forces physiologiques. La conception unique de la puce permet un ensemencement et une maintenance simples de la culture cellulaire. Elle est hautement compatible avec les lectures et instruments in vitro conventionnels et avancés. Sur notre puce, nous développons ensuite des modèles cellulaires pertinents pour l’humain afin de créer des modèles sains ou malades pour répondre à des questions spécifiques. En résumé, notre technologie permet d’appliquer des forces mécaniques à différentes barrières organiques pertinentes pour l’homme afin de répondre à de nombreuses questions biologiques.

Comment les organes sur puce rendent-ils la découverte de médicaments plus sûre et efficace ?

En reproduisant fidèlement la structure et la fonction des organes humains, les chercheurs peuvent tester l’efficacité et l’innocuité des médicaments d’une manière plus adaptée à l’humain. Cela pourrait améliorer la précision de la prise de décision préclinique. À l’avenir, les puces personnalisées pourraient révolutionner la manière dont les médicaments sont développés et prescrits, en permettant des traitements plus ciblés et plus efficaces.

Qu’est-ce que la médecine personnalisée ?

C’est un domaine en plein essor qui vise à mettre au point des traitements adaptés à chaque individu. Cette évolution est rendue possible par les progrès de la génomique et le développement de technologies telles que les organes sur puce. En créant des puces spécifiques pour chaque personne, les chercheurs peuvent tester l’efficacité des médicaments de manière plus ciblée et personnalisée. Un autre aspect de la médecine personnalisée concerne les effets secondaires propres au patient, qui ne sont observés que chez une fraction des personnes participant aux essais cliniques. En utilisant nos cellules dérivées de patients, nous pouvons par exemple déjà montrer que ces effets secondaires spécifiques à un individu peuvent être récapitulés à l’aide de notre technologie. Cela signifie que la médecine personnalisée est déjà appliquée grâce à la technologie des organes sur puce d’AlveoliX.

Les cellules réagissent-elles exactement de la même manière que dans le corps humain ?

Il n’est pas possible de reproduire entièrement la complexité du corps humain dans un modèle in vitro, mais la technologie des organes sur puce est très prometteuse pour imiter des aspects clés de la physiologie humaine. Les cellules utilisées dans les systèmes d’organes sur puce sont souvent dérivées de tissus humains et cultivées dans un micro-environnement qui reproduit les conditions de l’organe correspondant. Cela permet d’étudier les interactions entre différents types de cellules et de tester les effets des médicaments et des composés dans un contexte physiologique plus pertinent, très proche du corps humain.

Comment votre technologie accroît-elle l’efficacité et la sécurité du développement des médicaments ?

La mise au point d’un nouveau médicament commence par la sélection de milliers de composés, qui sont ensuite réduits à quelques-uns par le biais de criblages in vitro et d’essais sur les animaux. La mise sur le marché d’un nouveau médicament est un processus très long et coûteux. Notre système AXBarrier-on-Chip peut contribuer à le raccourcir et à le rendre plus rentable en utilisant moins de modèles animaux dans la phase préclinique. Ce système est pertinent pour les tests de sécurité et d’efficacité de différents composés, y compris les médicaments destinés à l’immunothérapie humaine, pour lesquels les modèles animaux ne sont pas suffisants pour récapituler les réponses immunitaires humaines. En ce qui concerne l’immunothérapie des patients atteints de cancer, l’anticorps-médicament aide le système immunitaire à reconnaître et à détruire les cellules tumorales, empêchant ainsi la croissance de la tumeur et la formation de métastases. Ces anticorps sont conçus pour se lier à des antigènes humains de manière très spécifique. Il est donc essentiel de vérifier leur sécurité, car s’ils sont mal conçus, ces anticorps peuvent conduire à une reconnaissance erronée de cellules saines, non tumorales, et provoquer de graves effets indésirables. La sécurité de ces thérapies ne peut pas être testée dans un modèle animal, mais elle peut l’être grâce à notre technologie d’organes sur puce. Notre technologie peut évaluer les questions de sécurité et d’efficacité sur des barrières organiques spécifiques. Si l’on prend l’exemple du poumon, cela signifie que toute expérience animale portant sur la sécurité du poumon peut être remplacée par notre technologie.

Comment les organes sur puce peuvent-ils devenir la nouvelle norme en matière de prise de décision préclinique et la principale alternative à l’expérimentation animale ?

La première étape est d’obtenir l’approbation réglementaire. Actuellement, l’expérimentation animale est la méthode par défaut pour la prise de décision préclinique. Les organismes de réglementation tels que la FDA exigent de nombreuses données provenant d’études animales avant d’approuver un nouveau médicament. Mais une première étape importante a été franchie fin 2022, avec la loi de modernisation 2.0 de la FDA. Elle a mis fin à l’obligation de tester les nouveaux médicaments sur les animaux, facilitant l’accélération du développement de médicaments plus humains et plus éthiques. Une autre étape consiste à démontrer la normalisation, l’évolutivité et la rentabilité des organes sur puce. Bien que l’investissement initial dans la technologie et l’infrastructure puisse être plus élevé que l’expérimentation animale traditionnelle, les avantages potentiels à long terme en termes de réduction des coûts, d’efficacité accrue et de précision améliorée en font une alternative convaincante. Pour être largement adoptés, les organes sur puce doivent pouvoir produire des résultats fiables et cohérents à un coût raisonnable. Cela nécessitera une collaboration entre industrie, universités et organismes de réglementation, pour mettre au point des protocoles normalisés pour les essais et la validation.

Le développement de méthodes alternatives est-il également un choix éthique pour vous ?

Oui, en développant des méthodes alternatives, nous réduisons non seulement la souffrance des animaux, mais nous améliorons également la précision et la fiabilité de nos méthodes d’essai.

À long terme, les technologies que vous développez pourront-elles remplacer complètement l’expérimentation animale ?

Nous en sommes convaincus, mais il reste encore des défis à relever. Notre objectif est de fournir à l’industrie pharmaceutique ainsi qu’à la recherche universitaire des alternatives viables, efficaces et fiables à l’expérimentation animale. Bien que certains types d’expériences ne puissent pas encore être totalement remplacés, nous faisons des progrès significatifs dans le développement de méthodes alternatives qui peuvent produire des résultats plus précis ou comparables à ceux obtenus par l’expérimentation animale.

Quels sont les expériences qui ne peuvent pas être remplacées et comment y parvenir ?

Il est encore difficile de modéliser les interactions systémiques entre plusieurs organes in vitro. L’objectif ultime est de pouvoir modéliser l’ensemble du corps humain et les interactions entre ses organes. Ce sera le début d’une nouvelle ère, où toute expérience pourra être réalisée in vitro. Nous travaillons, comme beaucoup d’autres, à nous rapprocher de cet objectif, mais cela prend du temps.

De plus en plus de chercheurs remettent en question l’efficacité du modèle animal pour la santé humaine. Certains scientifiques estiment même que 90 à 95 % des molécules testées sur les animaux n’arrivent jamais sur le marché. Est-ce aussi votre constat ?

Oui, c’est bien connu de la communauté scientifique. Les modèles animaux sont souvent de mauvais prédicteurs des réactions humaines aux médicaments et autres substances, ce qui entraîne un taux d’échec élevé dans les essais cliniques. En développant des méthodes alternatives qui imitent mieux la physiologie humaine, nous voulons améliorer le taux de réussite du développement des médicaments et réduire le nombre d’essais cliniques coûteux et chronophages qui échouent.

Comment trouvez-vous l’argent nécessaire au développement de vos produits ?

Nous recevons des fonds de nos investisseurs privés, ainsi que des subventions d’agences gouvernementales pour soutenir nos efforts de recherche et de développement. En outre, nous tirons des revenus de nos produits et services.

Pensez-vous que la Suisse doit mieux réorienter les fonds existants ?

La Suisse investit fortement dans la recherche et le développement, et le pays dispose d’une infrastructure bien établie pour soutenir les projets innovants. Néanmoins, l’allocation des fonds pourrait toujours être améliorée pour soutenir les jeunes entreprises. Innosuisse a récemment lancé un nouveau mode de financement pour les jeunes entreprises, leur permettant d’obtenir un soutien financier direct pour développer des produits innovants.

Comment expliquer que les méthodes alternatives, et en particulier les méthodes visant à remplacer l’expérimentation animale, soient si peu soutenues par rapport à l’expérimentation animale, qui reçoit chaque année près de 200 millions de la Confédération et des cantons ?

L’une des raisons possibles est que l’expérimentation animale reste la méthode de référence. C’est pourquoi elle bénéficie encore d’un soutien important. Nous sommes toutefois convaincus que cela changera à l’avenir et que de plus en plus d’aides seront allouées à des méthodes alternatives. Cependant, dès à présent, davantage de fonds pourraient être consacrés au soutien des méthodes alternatives pour créer une prise de conscience, une éducation ciblée ou la mise en place de centres de méthodes alternatives.

 Avec quels clients et entreprises collaborez-vous ?

Nos clients sont des sociétés pharmaceutiques ou de biotechnologie, des ORC, des universités et des instituts de recherche du monde entier. Nous collaborons avec de grandes sociétés pharmaceutiques telles que Roche et CSL. La technologie AlveoliX est utilisée par les sociétés pharmaceutiques pour améliorer leur processus de découverte de médicaments, principalement en testant la sécurité, la toxicité ou l’efficacité. Et le monde universitaire utilise notre système pour mieux comprendre la biologie humaine, créer des modèles de maladies, étudier la recherche fondamentale ou saisir l’impact des signaux mécaniques dans le corps.

Quelles sont les prochaines étapes pour commercialiser plus largement votre technologie ?

L’une des principales avancées que nous avons déjà réalisées est la soumission de cinq demandes d’autorisation de mise sur le marché (IND) à la FDA, ce qui montre que notre technologie est appliquée au développement de médicaments. Nos prochaines étapes consisteront à étendre nos modèles à un plus grand nombre d’organes et à développer davantage de partenariats avec des sociétés pharmaceutiques et universités. Nous voulons faire connaître notre technologie dans le monde entier.

En juin 2022, vous avez remporté le concours Swiss Medtech Award, ainsi qu’un prix de 75’000 francs, qu’est-ce que cela signifie pour AlveoliX ?

Cette victoire est une grande réussite pour AlveoliX car elle reconnaît notre approche innovante et notre travail acharné. De plus, cela nous aide beaucoup à gagner en notoriété et en reconnaissance auprès d’un public plus large. C’est la première fois qu’une entreprise qui développe des méthodes alternatives remporte ce prix

La crise Covid ou la guerre en Ukraine ont-elles eu un impact sur les activités d’AlveoliX ?

La crise Covid et la guerre en Ukraine ont sans aucun doute eu un impact sur l’industrie biotechnologique dans son ensemble, mais nous avons réussi à relever ces défis avec succès. Le Covid-19 a suscité beaucoup d’intérêt dans le domaine pulmonaire et de nouveaux modèles in vitro pour trouver une réponse à la compréhension et à la lutte contre le COVID19. En outre, cette crise a montré qu’il est important de repenser les chaînes d’approvisionnement et de s’appuyer davantage sur la fabrication locale ainsi que sur la recherche.

Quels sont les projets futurs d’AlveoliX ?

Nous allons continuer à développer notre technologie pour atteindre de nouveaux marchés. Nous travaillons actuellement sur plusieurs projets, notamment le développement d’autres barrières organiques pour augmenter notre portefeuille, ainsi que de nouveaux modèles biologiques pour des questions de recherche avancée. En outre, nous devons simplifier et normaliser les lectures et les méthodes d’analyse sur la puce, car cela sera essentiel pour une application à grande échelle.

Comment pensez-vous que la recherche en Suisse va évoluer dans les années à venir ?

Nous pensons que la Suisse va continuer à innover dans le domaine de la recherche biomédicale, en mettant particulièrement l’accent sur le développement et l’utilisation de méthodes alternatives à l’expérimentation animale. En tant que pays ayant une forte tradition d’innovation scientifique et un engagement en faveur de pratiques de recherche éthiques, la Suisse est bien placée pour montrer la voie dans ce domaine. En outre, nous nous attendons à une collaboration croissante entre les chercheurs suisses et ceux d’autres pays, à mesure que le domaine des méthodes d’essai alternatives continuera de croître et d’évoluer.

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Qu’est ce qu’un biomodèle? Un modèle biologique développé pour imiter une maladie spécifique ou une application spécifique. Quelques exemples :

Modèle de fibrose : coculture de cellules épithéliales primaires et de fibroblastes pour évaluer l’innocuité et l’efficacité de nouveaux médicaments antifibrotiques.

Inflammation alvéolaire et lésions pulmonaires : coculture de cellules épithéliales et endothéliales, y compris des cellules immunitaires pour l’étude de la sécurité des médicaments.

Modèle d’inhalation : coculture de cellules épithéliales et endothéliales pour évaluer la sécurité de différents produits chimiques et nanomatériaux.

Modèles d’infection bactérienne et virale : coculture de cellules épithéliales et endothéliales pour étudier le processus d’infection, la sécurité et l’efficacité des médicaments.

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